Radio-Canada “Enfin samedi”

Le 5 juin 2021, Josiane Blanc et Ania Jamila participaient à l’émission Enfin samedi de Radio-Canada, une émission qui reflète la riche diversité culturelle, sociale et territoriale en Ontario, animée par Charles Lévesque, au lendemain du lancement de la série Ainsi va Manu, diffusée sur TV5, Unis TV et TFO.

Voici un extrait de l’émission et la retranscription de l’entrevue ci-dessous. Cliquez sur l’image ci-dessous pour écouter.

BANDE-ANNONCE

Notre bloc appartements a été vendu.

Manu!

Et si je ne me bats pas, on devra aussi quitter Toronto.

Moi je m’ennuie de papa.

Je sais qu’il ment!

Sudbury? Pourquoi pas Mars un coup part?

Hier, tu disais qu’il fallait se battre!

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On écoutait un extrait de la bande-annonce de la websérie Ainsi va Manu, disponible depuis hier chez Unis TV et produite par Luve Films et les productions Diversified Voices [Sahkosh Productions Inc.]. La série de court format raconte l’histoire de Manuela, une adolescente âgée de 16 ans qui , avec sa mère et son jeune frère, sont confrontés au phénomène de rénoviction, dans la grande ville de Toronto. ET au cours des 7 épisodes Manuela tentera avec l’aide de ses deux amis de prendre les choses en main afin de demeurer dans son quartier. Une série qui met en relief les inégalités et les injustices sociales, chose que l’on a peut-être vue un peu plus durant la pandémie. Donc, pour nous parler de cette nouvelle série, je joins les deux productrices, Josiane Blanc et Ania Jamila (qui est la fondatrice de Luve Films).

RADIO-CANADA: Bonjour à vous deux.

JOSIANE: Bonjour!

ANIA: Bonjour!

RADIO-CANADA: Félicitations, vous êtes heureuses d’enfin pouvoir faire paraître la websérie?

JOSIANE: Oui, tout à fait. Ça fait 10 mois que moi et Ania on travaille sur le projet, matin au soir, du lundi au dimanche. Donc, y a beaucoup de mélange d’émotions, je pense. On est excité, on n’y croit pas trop encore. Mais c’est le fun de voir le projet arriver.

RADIO-CANADA: Est-ce que c’est la première fois que vous avez travaillé ensemble sur un projet? Comment s’est fait votre rencontre finalement?

ANIA: C’est une rencontre un peu particulière et qu’on aime beaucoup raconter. En fait, en 2018, Josiane et moi on a participé à un concours de l’Office national du film. Et on a été toutes les deux choisies comme finalistes. On s’est rencontrées, on a a voyagé jusqu’à Moncton, donc les finalistes se retrouvaient à Moncton. Donc Josiane et moi étions en compétition officiellement. On était 9 finalistes au Canada et Josiane a gagné. Je pense que je n’étais pas trop loin derrière. Elle a réalisé un super beau documentaire pour l’ONF (Conte d’une grossophobie ordinaire), mais on savait après s’être rencontrées à Moncton qu’on voulait travailler ensemble, qu’on avait une admiration commune l’une pour l’autre, donc c’est une belle histoire de compétition qui se transforme en histoire de collaboration. On crée ensemble et c’est vraiment le fun de travailler ensemble. On s’appelle les work wives, des épouses de travail, pace qu’on parle beaucoup plus entre nous, qu’on ne parle à nos propres époux.

RADIO-CANADA: Parlez-nous un peu du concept de rénoviction. On comprend assez bien le mot valise en soit, mais c’est aussi un véritable problème en milieu urbain. Pourquoi avez-vous décidé d’aborder la thématique de la rénoviction?

JOSIANE: Tout à fait. En fait, moi je réside à Toronto depuis bientôt 6 ans. Puis la question du logement à Toronto, des prix des logements à Toronto, c’était une problématique qui est était récurrente avec mes amis. C’est une question dont on parlait beaucoup. J’ai vu beaucoup d’amis et de connaissances quitter la ville, à cause de l’augmentation fulgurante des prix des loyers. On a des gens avec qui on a travaillé qui ont eux-mêmes changer de logement cinq, six, sept fois dans les dernières années parce qu’ils se sont fait évincer, pour des rénovations et les prix des loyers. Donc, c’est comme ça qu’on est arrivé sur le sujet. Puis, j’avais envie de raconter cette histoire-là, mais du point de vue de la jeunesse, parce que les jeunes sont eux aussi pris dans cette réalité-là. L’idée c’était de montrer aussi que ça touchait beaucoup de gens. Ça ne touche pas que les classes les plus pauvres, mais ça touche aussi les classes moyennes. À Toronto, on est rendu encore plus loin dans le problème. La point de vue de la jeunesse qui est intéressant c’est celui de vouloir combattre l’éviction. De ne pas seulement être victime de ce qui passait, mais de voir ce qu’était notre pouvoir en tant que citoyen et de ramener la fougue de la jeunesse qui croit que tout est possible, au sein de cette problématique.

RADIO-CANADA: Diriez-vous justement que c’est une problématique dont on parle peu?

JOSIANE: En fait, je dirais qu’on en parle de plus en plus. Le mouvement est parti de l’ouest et s’en va vers l’est. C’est-à-dire qu’on en parlait à Vancouver, et de Vancouver on a commencé à parler de Toronto, aujourd’hui on en parle beaucoup à Montréal, avec l’augmentation des loyers à Montréal aussi et la crise du logement. Donc je pense que c’est un sujet qui, en ce moment, est beaucoup sur la table. Hier, je lisais que le prix moyen d’un logement à Toronto a dépassé le 1 million de dollars. Donc, on parle d’un dépôt de deux cent mille dollars. Ce sont des réalités qui sont complètement folles, pour les gens qui vivent dans ces villes-là. On se demande où est-ce qu’on va à partir d’ici? Ça va être quoi dans deux ans, cinq ans, dix ans?

RADIO-CANADA: La force de la série Ainsi va Manu c’est que ça peut s’adresser tant à la jeunesse qu’aux adultes, avec des thématiques qui font qu’on en apprend beaucoup sur plusieurs réalités. Qu’est-ce qu’on peut espérer que les spectateurs retiennent d’Ainsi va Manu?

ANIA: Quand Josiane développait le scénario, elle disait tout le temps qu’elle voulait une Greta Thunberg de l’immobilier de Toronto qui parle français. C’était vraiment ça sa vision. ET je pense que ce qu’elle veut qu’on retienne, parce que Josiane intrinsèquement c’est quelqu’un qui a cœur les luttes sociales et qui veut faire passer un message d’espoir que si on se met ensemble et si on décide de changer les choses, même si c’est pas facile, c’est possible. On nous la prouvé il n’y a pas si longtemps que ça, avec toutes les manifestations qu’il y a eu un peu partout dans le monde, portées par la jeunesse. Et je pense que c’est surtout ça, de garder espoir, de se dire qu’il y a des changements qui peuvent arriver. Josiane et moi on ne voulait pas tomber dans le misérabilisme : subir, être une victime. Et oui c’est triste et horrible, mais il qu’on parle, qu’on parle fort, et quand les adultes on perd espoir, il y a les jeunes qui peuvent venir et redonner un gain d’espoir et une fougue, que nous les adultes, on est peut-être trop fatigués pour ressentir.

RADIO-CANADA: Avez-vous l’impression que c’est surtout les jeunes qui sont attirés par votre websérie?

JOSIANE: Je dirais humblement que, c’est sûr que c’est une série jeunesse, qui met les jeunes au cœur de l’histoire, donc l’histoire est vraiment racontée du point de vue de Manuela. Mais je pense honnêtement que tout le monde peut y trouver son compte. Je pense que la mère de Manuela, Karine, prend quand même une place importante dans l’histoire, on la suit à travers les péripéties et le fait qu’elle essaye de faire son deuil. On essaye de rejoindre beaucoup de monde avec ça. Ce sont des problématiques actuelles, qui touchent beaucoup les adultes. Donc les adultes vont aussi beaucoup se reconnaître dans la série. Donc ça va rejoindre les jeunes mais aussi les moins jeunes.

RADIO-CANADA: On découvre aussi beaucoup de nouveau talents dont Cindy Charles qui incarne avec brio le rôle principal de Manuela. Parlez-nous un peu de votre distribution. Qu’est-ce que vous avez voulu mettre en lumière dans cette nouvelle série?

JOSIANE: Je vais commencer, puis tu pourras enchaîner. Cindy Charles, elle est magnifique à l’écran. On a définitivement voulu mettre de l’avant une diversité : une diversité culturelle, une de genre, une diversité d’accents aussi. On est très fières d’avoir réussi à faire ça. C’ets vraiment une série qui est à l’image de Toronto, dont la moitié de la population, comme on le sait, n’est pas née au Canada. Puis on voulait que ça représente ça. Il y a aussi quelque chose de très particulier où la francophonie à Toronto c’est un peu comme un village. Et je trouve ça beau parce que les accents viennent d’un peu partout. On a ça grâce au rôle de Mme Smith, qui est allophone, et on à ça grâce au rôle de Mme Gisèle, qui vient du nord de l’Ontario. La famille de Manuela c’est une femme noire. Les deux meilleurs amis de Manuela sont d’origine chinoise. Y a de l’espagnol, du mandarin, dans la série. Y a de l’anglais, et on parle en franglais. Pour moi, ça représentait vraiment Toronto. Et on voulait que ça fasse vraiment Toronto, parce que c’est ça que c’est pour nous en tant que francophones, en Ontario. Ania, est-ce que tu voulais ajouter quelque chose.

ANIA: Peut-être que j’ajouterais quelque chose au sujet du processus de casting, qui a été très difficile, parce qu’on ouvrait le casting à la « diversité » et on s’est buté à des agences qui n’avaient vraiment pas de diversité au niveau des acteurs qu’ils représentaient, surtout dans cette tranche d’âge-ci. Pour Manuela, c’était une évidence. Dès qu’elle nous a envoyé sa vidéo d’audition, on savait que c’était elle. Elle respirait le personnage de Manuela. Le plus difficile ç’a été de trouvé l’acteur pour le rôle de Patrick, qui est incarné par Nam Nguyen. Donc un jeune asiatique qui parlait français, qui savait jouer ou qui avait un intérêt pour le jeu, ç’a été difficile. Je pense qu’on a alerté les deux provinces, le Québec et l’Ontario, au complet. Et on a fini par le trouver. Lui il caressait ce rêve depuis qu’il était jeune, mais qu’il se disait qu’en tant que Chinois (ou Vietnamien), il n’avait aucune chance et aucun rôle pour lui. Cindy Charles aussi, qui incarne Manuela, sa mère lui a dit « oublie ça ma fille, y aura jamais de rôles pour toi. Tu vas devoir faire un vœu d’indigence si tu fais ce choix de carrière-ci. » Mais elle a quand même continué d’y croire, donc je pense que au niveau ç’a été le fun, difficile aussi, mais surtout le fun de leur dire qu’ils avaient obtenu les rôles et qu’on allait leur faire de la place, dans le paysage des séries au Canada, et en français en plus!

RADIO-CANADA: Oui, très belle opportunité pour ces gens-là. C’est une série où vous avez mis en évidence des personnages de femmes fortes. Une distribution qui met en lumière la diversité de Toronto, la francophonie ontarienne. Qu’est-ce que vous avez appris en préparant cette émission-là?

JOSIANE: Qu’est-ce que j’ai appris? Plein de choses et je continue d’apprendre plein de choses. J’ai appris que tourner en français en Ontario, ça présente ses challenges, particulièrement dans la région de Toronto, où le bassin des acteurs qui parlent français est plus petit. Mais j’ai appris aussi, comme dit Ania, que ça prend un village pour faire une série. On a tous travaillé très très fort pour faire la série : autant moi qu’Ania que tout le reste de l’équipe. On est très très fier du résultat final. Mais ce qu’on a appris finalement c’est que c’est possible. Ça nous fait très plaisir en tant que créatrices de la diversité, et émergentes aussi, de se dire que c’est possible de faire une série en français, en Ontario, qui est représentative de la diversité, sans les stéréotypes, représentative de la francophonie en Ontario, d’avoir tous ces gens-là qui se sont réunis ensemble pour raconter cette histoire-là. Et que même quand c’est difficile, on a pu trouver les comédiens qu’on cherchait. On a pu représenter tout le monde en s’assurant qu’on représente qui ils sont vraiment. Et ça on vraiment fière d’avoir réalisé tout ça.

RADIO-CANADA: Josiane Blanc et Ania Jamila, vous êtes productrices de la websérie Ainsi va Manu, disponible depuis hier sur le site web d’Unis TV. Qu’est-ce qu’on vous souhaite pour la suite? Une prochaine lancée dans l’univers de Manu ou des nouveaux projets à l’horizon?

JOSIANE: Plein de choses. Tout ça! On croise les doigts forts que la série plaise, que oui on va espérer qu’il y ait une deuxième saison. On y croit. Sinon, Ania et moi on travaille beaucoup en tandem. Là on se lance dans l’écriture d’une nouvelle série, qui est soutenue par la Fond indépendant de production, une série de format court, mais qui va plutôt s’adresser à un public adulte. On entre en production aussi avec une série documentaire jeunesse pour TFO en collaboration avec une productrice du Québec, Marie-France Laval, en co-production entre le Québec et l’Ontario. Est-ce que j’oublie des choses, Ania?

ANIA: On a aussi un autre projet de co-production internationale. Si on nous donne notre voix, on ne va pas se faire prier pour la prendre.

RADIO-CANADA: En tout cas, je vois que vous ne chômerez pas pour les prochaines années. Josiane Blanc, Ania Jamila, merci beaucoup, je vous souhaite bonne chance pour cette nouvelle série et au plaisir de vous reparler.

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